GEA - Groupe Ethique de l'ARESSAD

Le prendre soin nait d’une pensée humaniste
et vit dans le partage d’actions pour les humains.

Pensée-cadre issue d’échanges entre les membres du groupe (2019).

Document GEA
Groupe Ethique de l'ARESSAD

Des questions et notre reflexion

L'ARESSAD (Association des Responsables des Services de Soins à Domicile) par le biais de ce forum, vous invite à la réflexion éthique, à prendre de la distance sur le monde tel qu’il est formaté.
Rappelons que le GEA (Groupe Ethique de l’ARESSAD) entend par « domicile » tout lieu de résidence dans lequel doit être respecté la dignité d’une personne, pilier inaliénable de la morale soignante.
Posez vos questions au GEA afin qu’il vous apporte ses réflexions, commentez nos avis, faites part de vos accords et de vos désaccords, faites des retours d’expériences sur le forum…

Le but est de ne pas se contenter de l’inertie de l’époque, de montrer qu’une pensée alternative aux dogmes, dissidente sans persécuter est possible, que le mieux est possible.

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Ecrire sur le coronarovirus

LE CORONAVIRUS et L’ ETHIQUE, ENNEMI OU AMI ????

le 10/05/2020 par claude neuvens - infirmier

 
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La réflexion du GEA :

le 11/05/2020 par Groupe Ethique de l'Aressad
 
 
1 réfléxion: 
  • Damien Tribout

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Ecrire sur le coronavirus… D. TRIBOUT

Ecrire sur le coronavirus… Oui mais pour dire quoi ? Comment ne pas proposer un poncif de plus parmi les avis des uns et des autres ? Car, comme à tous moments marquants, chacun y va de son commentaire plus ou moins adroit et je m’interroge sur la façon d’apporter une contribution qui soit pertinente. Ne faudrait-il pas garder pour soi son avis quand d’autres sont davantage en souffrance ou davantage concernés ? Est-ce décent de vouloir s’exprimer quand la pandémie a déjà fait plus de 15 000 victimes dans notre pays ? (article rédigé le 15 avril 2020). Mais nous sommes tous impactés, ne serait-ce que par le confinement qui nous concerne tous. On s’accommode tous plus ou moins bien de la situation : certains ironisent, certains s’inquiètent, certains critiquent. Alors finalement, pourquoi ne pourrais-je pas tenter modestement d’y réfléchir ?

Mais quel abord adopter ? Celui du décompte des cas et des décès, le directeur général de la santé le fait déjà quotidiennement. Celui de la peur de la contagion, le battage médiatique s’en charge. Celui de la théorie du complot ? Non, je risquerais de finir par y croire…

S’arrêter sur le #OnApplaudit me semble être une solution. Oui, les soignants méritent qu’on les applaudisse ! Ils étaient déjà à bout, ils ne comptent désormais plus ni leurs heures, ni leurs efforts. Ils se sentaient déconsidérés, ils craignent aujourd’hui qu’on ne leur accorde de l’attention que le temps de la crise. Ils sont en première ligne, ils risquent leurs vies. Ils sont au front. Et ils n’y ont été que très partiellement préparés. Pour ma part, j’ai parfois regretté l’iniquité qui existe entre les différentes professions de santé, en termes de reconnaissance ou de représentativité. Mais aujourd’hui, je ne peux que constater que cette iniquité existe, sur d’autres raisons. Car j’admire ces soignants qui mobilisent leurs compétences dans ce contexte de crise sanitaire. Ils méritent nos applaudissement car ce sont nos soldats dans la guerre contre cet ennemi invisible. Et n’oublions pas tous les autres corps de métier non soignants qui sont, eux aussi, mobilisés. Souhaitons-leur d’être les vainqueurs de cette guerre. Mais ne souhaitons pas qu’ils en soient les héros. Car les vrais héros sont ceux qui ne reviennent pas…

Mais il y a une autre face à la médaille, et celle-ci est moins brillante… Car derrière les applaudissements se cache une autre réalité. Peu après le début de l’épidémie, nous avons vu apparaitre des messages à destination des soignants, dans leurs immeubles ou sur leurs voitures, laissés par leurs propres voisins. Ces deniers leur demandaient s’ils n’avaient pas un autre lieu de vie, voire les enjoignaient carrément à quitter les lieux, sous prétexte que les soignants seraient devenus des vecteurs du coronavirus. Probablement un dur retour à la réalité pour ses soignants dévoués, épuisés mais renforcés par les applaudissements. Quand la crainte nourrit l’intolérance… Avant cela, ce sont des vols et des trafics d’équipements de protection, à commencer par les maques, qui sont apparus. Quelques fois pour des usages personnels, mais parfois pour être revendus. Certains soignants se seraient mêlés à ces trafics. Et nous avons même vu un pays récupérer des masques d’un avion en escale alors qu’ils étaient destinés à un autre pays. Cette fois la crainte nourrit l’appât du gain… Et encore plus tôt, alors que l’épidémie n’était encore qu’en Chine, ce sont des comportements suspicieux à l’égard des personnes ayant des origines asiatiques, allant du refus de les croiser dans la rue à des invectives, jusqu’à une professeure qui a dû se justifier par écrit auprès des parents de ses élèves. Quand la crainte nourrit le racisme… D’autres réactions similaires peuvent ou pourront probablement encore être recensées, telles que des comportements homophobes motivés par le prétexte que les homosexuels seraient les plus à risque de contracter le coronavirus.

D’un côté, on applaudit ; de l’autre, on vilipende. Ce contraste nous dit-il quelque chose sur la nature humaine ? Pour le moins, il nous indique combien l’Homme est sensible à la crainte et qu’elle peut susciter chez lui maintes réactions, dont certaines semblent échapper à la raison. Je reconnais être un peu désabusé par ces comportements et, parce que nous sommes en guerre, j’en viens par moments à me demander ce que nous, contemporains de 2020, aurions fait en 39-45… Au vu des réactions déraisonnables, des « braveurs » de confinement, de l’unité nationale qui ne tient pas longtemps et, plus largement de l’individualisme à l’œuvre dans la société, qui de nous aurait été résistant ?

D’un point de vue éthique, certains soignants ont déjà tiré la sonnette d’alarme à l’idée que les moyens leur manqueraient pour pouvoir soigner tout le monde : ils craignent de devoir faire des choix entre les patients. Comment accepter, en tant que soignant, de ne prodiguer des soins qu’à certaines personnes et pas à d’autres ? Sur quels critères ? Faut-il considérer que certains patients ont plus de valeur que d’autres et méritent davantage d’être soignés ? Ce choix entre deux patients ne parait pas possible pour les soignants. Des recommandations vont pourtant dans ce sens, à l’image du New England Journal of Medicine dans une publication du 23 mars 2020 (Fair Allocation of Scarce Medical Resources in the Time of Covid-19). Considérer qu’une vie a plus de valeur qu’une autre est discriminatoire et ne saurait être accepté par les soignants. Mais en changeant de référentiel, ces recommandations peuvent trouver du sens. L’article du New England Journal of Medicine pose comme principal objectif de la prise en soins des patients atteints du covid-19 de « maximiser les bénéfices » (« maximize benefits »), au sens où il s’agit de sauver le maximum de vie et d’obtenir la meilleure espérance de vie. Dans ce référentiel utilitariste, il ne s’agit pas d’opérer des choix de valeurs entre vies humaines mais de viser la survie du plus grand nombre en optimisant l’utilisation des ressources en nombre insuffisant. Parmi les six recommandations faites par les auteurs de l’article, on trouve également l’idée d’inciter les patients à rédiger des directives anticipées, le conseil de ne pas appliquer le principe du « premier arrivé, premier servi » ou encore de ne pas toujours privilégier l’usage des ressources pour le Covid-19, au détriment des autres pathologies. Ces recommandations visent à accompagner les soins dans un contexte où les ressources nécessaires seraient insuffisantes. Est-ce suffisant pour soulager la conscience des soignants ? Peut-être pas, à moins que ne s’opère une réaction de « soumission à l’autorité », de l’ordre des constats faits par Milgram en psychologie sociale dans les années 1960, qui soulagerait les soignants de choix éthiques et amènerait à l’application des recommandations même si elles se confrontent avec les valeurs individuelles des soignants. Si cette soumission peut être dangereuse, l’histoire du XXème siècle en témoigne, elle serait là utilisée dans l’intérêt du plus grand nombre.

Le confinement de la population peut aussi être considéré sous l’angle utilitariste, lui aussi visant la survie du plus grand nombre, à travers notamment la réduction de la propagation du virus, donc la réduction des cas et d’éviter ou de reculer la congestion des hôpitaux, limitant ainsi les choix difficiles pour les soignants. Que penser alors de ceux qui voient dans le confinement une privation de liberté, qui refusent de s’y soumettre ou qui considèrent qu’ils ne risquent pas grand-chose en ne se confinant pas ? Le confinement est-il un déni de démocratie, une porte ouverte à la dictature parce qu’il reflète un positionnement autoritaire d’un gouvernement ? Aujourd’hui, le confinement est la loi. Demain, ce sera peut-être la traçabilité des données téléphoniques qui sera dans la loi. Et la loi a ses raisons pour exister car, pour paraphraser Hobbes, elle permet d’éviter à « l’Homme [d’être] un loup pour l’Homme. » Puisque la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, peut-on considérer qu’il y a privation de liberté quand on nous confine afin de protéger autrui (et soi-même), donc ne pas lui nuire ? Chacun a pu constater que pour beaucoup en l’absence de confinement obligatoire, profiter du soleil et de la foule était plus important que de rester chez soi… Sans la loi, on peut penser que ce comportement individualiste (principe de plaisir) aurait continué à prévaloir sur la nécessaire mise en sécurité de chacun (principe de réalité, ou au moins principe de précaution). Il ne faut pas non plus négliger la croyance répandue du fait que « je n’attraperai pas le virus » ou que « si ça doit arriver, ça arrivera. » On peut y voir une manifestation de ce que Leibniz qualifie de « sophisme du paresseux » qui enjoint à se rappeler que la fatalité n’est que la conséquence de ce que nous faisons. Nous pourrions encore évoquer des biais de perception individuels et collectifs qui nous ont amenés à sous-estimer l’épidémie avant son arrivée, à minimiser l’importance de se protéger ou à mal anticiper l’impact sur le système de santé et sur notre vie quotidienne.

Finalement, est-ce que la crise du coronavirus, en ce qu’elle concerne l’ensemble de la population, n’est pas l’occasion pour chacun de s’interroger sur soi, ses valeurs, sa relation aux autres ou sa conception de la santé et de la société ? Peut-être que cette crise permettra de remettre un peu d’éthique au cœur des raisonnements de chacun…

A quoi ressemblera le système de santé après ça ? Il était en crise avant le coronavirus et nombre de professionnels dénonçaient l’absence d’écoute de leurs plaintes et l’absence de réponses pour soutenir le système. Depuis le début de l’épidémie, les soignants sont mis au premier plan. Des mesures sont annoncées. A croire qu’il faille une crise dans la crise pour que l’on comprenne l’importance de la santé ! Ce n’est finalement pas une surprise quand on se rappelle qu’il a fallu la canicule de 2003 pour que soit mise en lumière la précarité de la situation des personnes âgées et que des mesures soient prises, mesures qui n’ont évidemment pas tout réglé. Le choc qu’aura provoqué le coronavirus aura forcément une réaction. Mais il reste à savoir ce que cette réaction changera effectivement… Car pas sûr que le système pourra se contenter de mesurettes ou de politique politicienne. La situation actuelle nous montre à quelle vitesse le système peut être dépassé et combien il repose sur ses professionnels de santé. S’ils s’effondrent, le système s’effondre ! Et la souffrance des soignants montre qu’il est déjà bien lézardé ! Le coronavirus aura certainement créé de nouvelles lézardes et encore fragilisé les précédentes. Que pourra-t-on sauver ? Quelle reconstruction sera possible ? Se fera-t-elle sur des fondations solides ?

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