GEA - Groupe Ethique de l'ARESSAD

Le prendre soin nait d’une pensée humaniste
et vit dans le partage d’actions pour les humains.

Pensée-cadre issue d’échanges entre les membres du groupe (2019).

Document GEA
Groupe Ethique de l'ARESSAD

Des questions et notre reflexion

L'ARESSAD (Association des Responsables des Services de Soins à Domicile) par le biais de ce forum, vous invite à la réflexion éthique, à prendre de la distance sur le monde tel qu’il est formaté.
Rappelons que le GEA (Groupe Ethique de l’ARESSAD) entend par « domicile » tout lieu de résidence dans lequel doit être respecté la dignité d’une personne, pilier inaliénable de la morale soignante.
Posez vos questions au GEA afin qu’il vous apporte ses réflexions, commentez nos avis, faites part de vos accords et de vos désaccords, faites des retours d’expériences sur le forum…

Le but est de ne pas se contenter de l’inertie de l’époque, de montrer qu’une pensée alternative aux dogmes, dissidente sans persécuter est possible, que le mieux est possible.

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La commercialisation des soins

le 17/10/2019 par Arnaud gibaru - infirmier

la forfaitisation de tous les actes soignant est elle en adéquation avec l individualisation des soins ?


La réflexion du GEA :

le 21/10/2019 par Groupe Ethique de l'Aressad
 
La priorité des politiques de santé doit elle être le soin individualisé, c'est à dire la bonne santé de l'individu, ou la bonne santé financière de son  pays ?
Le soin va t il devenir un commerce??

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Commercialisation de la santé : la forfaitisation de tous les actes soignants est-elle en adéquation avec l’individualisation des soins ?

 « Cher monsieur l’infirmier libéral, vous êtes le premier à nous poser une question à laquelle nous nous sentons compétents pour répondre ! Pour célébrer cela, nous ne vous facturerons pas notre service ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, comprenez le bien, nous allons devoir fonctionner à l'économie. Alors : non, nous ne pensons pas que la forfaitisation de tous les actes soignants soit en adéquation avec l’individualisation des soins. Voilà. Merci. Au revoir.

PS : à l’avenir, sachez que vous n’êtes plus obligé de vous questionner (pour vos patients) sur ce qui est mis en place pour votre bien (à vous). Il vous suffira d’exécuter car, rassurez-vous, au terme des 3 ans, l’expérimentation 2019-2022, réalisée dans les Hauts de France, l’Ile de France et l’Occitanie, ne saurait être autre que concluante et applicable à tout le territoire ! ».

Ridicule, n'est-ce pas ?! Pourtant, si nous nous étions véritablement contentés de répondre ainsi, nous aurions simplement appliqué le principe du forfait (en l’occurrence, du nombre de mots) pour répondre à une question complexe, soulevée par un individu particulier. Certes, nous aurions répondu, mais « à l’économie », et donc, à notre sens, de façon insatisfaisante en termes éthiques. Plus sérieusement, les mots qui composent cette question sont déjà en eux-mêmes en inadéquation les uns avec les autres. En effet, la forfaitisation étant un modèle de tarification où l’entreprise s'engage à un résultat dans un délai et une enveloppe financière prédéfinis, comment y intégrer la notion d'individu avec un corps et une identité uniques, et avec tout ce qu’il comporte d’imprévisibilité ?

L’arrêté du 12 juillet 2019 relatif à l’expérimentation « EQUILIBRES » (pour « EQUipes Infirmières LIBres REsponsables Solidaires »), évoque la forfaitisation au temps passé auprès des patients pour les soins infirmiers à domicile, associée à une évaluation standardisée et régulière de la situation des patients. Le cahier des charges proposé par l’arrêté formule comme but d’impulser un changement de point de vue ; c’est-à-dire passer d’un cadre réglementaire orienté par et vers la production de soins (actuelle « T2A »), à un système focalisé sur les patients, leur autonomie et leur qualité de vie à domicile. Louable, mais…

La « T2A » (système de tarification à l’acte avec un temps déterminé pour chaque acte en fonction de protocoles) a explicitement transformé l’hôpital en entreprise, qui se doit alors de contrôler sa gestion pour être rentable. Mais cette politique de santé est un échec pour toutes les parties ! Rappelons, juste, que le métier de soignant est un art qui fait appel aux sens, aux émotions et à l’intellect… Alors comment se retrouver, quand on est soignant, dans cette politique comptable, où le bien-être n’a plus sa place ?

Donc, en France, comme on n’a jamais eu de pétrole et qu’on n’a plus vraiment d’idées, on tente aujourd’hui de nous appliquer à nous-mêmes des systèmes de forfaits qui existent dans d'autres pays… Sous l’égide de Zeus (Jupiter en latin), une évaluation statistique et des propositions ont été remises sous forme de rapport à la ministre de la santé en janvier 2019 : ce rapport plaide pour qu’une large place soit laissée à la rémunération forfaitaire… Ce rapport est fortement inspiré de la politique de santé suédoise…

Néanmoins, rappelons que dans notre pays, l’AIS (Acte Infirmier de Soins) a été un premier pas vers la forfaitisation : l’AIS consistant à réaliser un maximum de soins d’hygiène en une demi-heure… Mais les infirmiers libéraux n’ont pas l’exclusivité : des structures comme les SSIAD (Services de Soins Infirmiers A Domicile) sont déjà « forfaitisés » (on parle alors souvent de « dotation globale ou de budget global », incluant les activités des aides-soignants, des infirmiers, leur matériel, leurs transports, leur administration…). Il s’agit alors d’être efficient avant d’être efficace ! Idem pour les EHPAD, dont on se demande comment ce type de budget est ventilé/redistribué pour chaque résident ?

Nous avons bien compris que ces nouveaux forfaits dépendraient d’indicateurs répondant uniquement aux objectifs comptables du gouvernement pour reléguer le soignant à un rôle accessoire, dans un monde où la médecine à distance (appelée « télémédecine ») allait avoir la part belle… Evidemment, il s'agit bien d'économiser sur la santé, de passer le moins de temps possible en soins (mais au profit insensé de temps administratifs)… Il s’agit de préférer une offre de santé pré-dimensionnée (comme si tous les diabétiques avaient les mêmes besoins, par exemple), à une offre de santé répondant à des besoins de santé individuels... Donc, oui, la forfaitisation va à l’encontre de la personnalisation des soins.

Déjà inspirée des modèles anglo-saxons, la T2A devait être une révolution ; mais que dire d’un forfait qui conditionne a priori le parcours de soins du patient ? Selon ce principe, c’est bien la pathologie qui définit l’individu, en le réduisant à être un simple malade, donc un bout d’individu… Le malade devient ainsi le prétexte de la mesure économique, cette dernière visant bien à créer les conditions de la transformation d’une offre de santé cloisonnée.  

N’accorder à l'être humain que des soins par forfait(s) veut aussi dire que, dépassé(s) ce(s) forfait(s), on ne se doit plus de prendre soin de lui… Alors, quelle est cette société qui déclare forfait ? Quand il n’est plus question que de prendre en charge des symptômes sans plus chercher à agir sur la cause d’une maladie, en l’occurrence, celle de notre système de santé, c'est qu'on considère que la cause est incurable, non ?!... Ou alors, c’est qu'on n’a pas su la déceler, ni, de fait, y appliquer la juste thérapeutique.

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