GEA - Groupe Ethique de l'ARESSAD

Le prendre soin nait d’une pensée humaniste
et vit dans le partage d’actions pour les humains.

Pensée-cadre issue d’échanges entre les membres du groupe (2019).

Document GEA
Groupe Ethique de l'ARESSAD

Des questions et notre reflexion

L'ARESSAD (Association des Responsables des Services de Soins à Domicile) par le biais de ce forum, vous invite à la réflexion éthique, à prendre de la distance sur le monde tel qu’il est formaté.
Rappelons que le GEA (Groupe Ethique de l’ARESSAD) entend par « domicile » tout lieu de résidence dans lequel doit être respecté la dignité d’une personne, pilier inaliénable de la morale soignante.
Posez vos questions au GEA afin qu’il vous apporte ses réflexions, commentez nos avis, faites part de vos accords et de vos désaccords, faites des retours d’expériences sur le forum…

Le but est de ne pas se contenter de l’inertie de l’époque, de montrer qu’une pensée alternative aux dogmes, dissidente sans persécuter est possible, que le mieux est possible.

Imprimer la pageDans sa forme initiale, le groupe de réflexion éthique ardennais issu du Schéma Départemental PA/PH 2014-2019, s’est efforcé de mener des réflexions sur les enjeux du soutien à domicile des personnes les plus vulnérables : les personnes âgées et/ou en situation de handicap. Nous avons tenté de définir ce que peuvent être les limites philosophiques du domicile, convaincus que cette approche peut, malgré tout et pourquoi pas, avoir un impact sur la politique, et la politique sur les personnes. Voici donc la synthèse de nos réflexions, autour de ce qu’on appelle désormais l’adaptation de la société au vieillissement. 
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Synthèse des travaux du GEA 2014/2018

le 17/07/2019 par claude neuvens - infirmier

Dans sa forme initiale, le groupe de réflexion éthique ardennais issu du Schéma Départemental PA/PH 2014-2019, s’est efforcé de mener des réflexions sur les enjeux du soutien à domicile des personnes les plus vulnérables : les personnes âgées et/ou en situation de handicap. Nous avons tenté de définir ce que peuvent être les limites philosophiques du domicile, convaincus que cette approche peut, malgré tout et pourquoi pas, avoir un impact sur la politique, et la politique sur les personnes. Voici donc la synthèse de nos réflexions, autour de ce qu’on appelle désormais l’adaptation de la société au vieillissement.


La réflexion du GEA :

le 17/07/2019 par Groupe Ethique de l'Aressad
 
Propos préliminaire. 

Que serait la politique sans philosophie ? Comment les deux intéresseraient-elles les hommes sans considérer les symboles auxquels ils tiennent ? D’ailleurs, la politique n’existerait pas sans les hommes pour s’en emparer et la réinventer sans cesse par la force de la philosophie. 

L’un d’entre nous, Nelson Mandela, su proclamer : « tout homme ou institution qui essaiera de me voler ma dignité perdra ». Cette pensée de lui qui logea enjôlé tellement d’années impose de méditer : logeons-nous tous, toujours, à bonne enseigne ? 

Enfants, l’un des premiers dessins que nous faisons après le bonhomme, représentation de nous-mêmes, est celui de ce qui nous abrite : la maison. Nous exposons notre idéal de monde rassurant à l’extérieur. Un simple carré surmonté d’un triangle, voilà l’architecture type. Et ce symbole représentera une bonne partie de notre dignité pour le reste de nos jours… 

Mais la réflexion éthique invite à prendre de la distance sur le monde tel qu’il est formaté dans notre esprit collectif. C’est donc ce postulat qui a servi de guide aux échanges qui ont nourri la réflexion du groupe. 

Pour nous intéresser à la question posée par le Schéma Départemental Personnes Agées/Personnes Handicapées 2014-2019 relative aux limites du soutien à domicile, nous devions, en premier lieu, nous efforcer de définir ce que peuvent être les limites du domicile. 

Nous avons donc considéré le droit : il définit comme domicile tout lieu de vie privé garantissant à l’individu la possibilité d’être reconnu en tant que citoyen. Dès lors, notre collège de se demander : une personne vulnérable, amenée à devoir partager tout ou partie de sa vie privée par besoins de soins ; à souvent devoir abaisser le curseur de sa pudeur et de son intimité ; lui reconnait-on toujours réellement son statut de citoyen à part entière dans ces conditions ? Et de poursuivre : les stigmates de l’âge ou du handicap, pesants, n’interfèrent-t-ils pas, à tort, avec le droit au respect de la liberté des personnes ? 

Puis, en second lieu, puisque la vie n’admet pas qu’un seul état de santé, elle nous oblige aussi à nous adapter à ne pas avoir, non plus, qu’un seul et même logis toute la vie durant. 
Ce constat faisant, en réalité, lorsqu’elle doit exister, l’intervention soignante tient finalement assez peu compte des murs… Et les limites ne résident ainsi pas dans les murs, mais dans le respect de la dignité qu’on accorde à une personne. 

A partir de là, le groupe entendra par domicile tout lieu de résidence actuel, dans lequel doit être respectée la dignité d’une personne, en termes de sécurité, d’intimité, de citoyenneté et de liberté, piliers inaliénables de la morale soignante des membres de notre groupe de réflexion. 

Nous avons alors entrepris de réfléchir collectivement à comment prendre soin de la meilleure façon possible selon ce postulat. Mais prendre soin, qu’est-ce à dire ? Rien de moins qu’une attitude personnelle d'attention et de sollicitude, dans une interaction avec un autre vulnérable. C’est se montrer responsable par rapport à un besoin identifié qui détermine la nature de la réponse à apporter. Et peut-être rien de plus ?!… 
 

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Premier exemple : l’administration des médicaments par des personnes non-habilitées ; de la conscience à prendre de la signification d’un tel acte

L’isolement social constitue une situation de handicap en soi, et l’acte d’administrer un médicament est de plus en plus fréquent, compte tenu de l’isolement croissant des personnes vulnérables. 

En principe, le médecin doit évaluer la capacité d’une personne à prendre ou non un traitement lorsqu’il lui prescrit. De cette évaluation, la décision médicale dépendra. Et par elle, la conduite à tenir pour l’usager, par lui-même et son entourage, professionnel et non professionnel. 

En principe, encore, tous les professionnels qui interviennent au domicile d’une personne voient leurs actes soumis à la dynamique des textes réglementaires… Dès lors, toute personne non habilitée à administrer des médicaments et qui le fait, prend un risque et en fait courir un aux personnes aidées, puisqu’au regard de la loi, notamment au regard du Code de la Santé Publique, la conduite à tenir selon notre statut n’a rien d’équivoque. 

En principe enfin, d’un point de vue sémantique, mettre un comprimé dans la bouche ou dans la main, c’est « administrer », alors que donner un verre d’eau pour que la personne avale son comprimé avec, c’est « aider à la prise »… Et si n’importe qui peut aider à la prise, tout le monde n’a pas le droit d’administrer des médicaments ! 

Dans la réalité, avoir des difficultés à s’administrer son traitement médicamenteux peut porter atteinte à la dignité ; au même titre qu’avoir des difficultés pour réaliser d’autres activités essentielles de la vie quotidienne. Néanmoins, l’aide apportée doit toujours répondre au principe moral, déontologique, de savoir ne pas faire (de) mal, et ce quelles que soient les circonstances… Alors à ce stade, reformulons le dilemme : dois-je priver une personne de son traitement au motif que je n’ai pas le droit d’y lui donner accès, si personne ne s’est assuré que quelqu’un de légitime le ferait ? 

Ainsi, chacun, professionnel, usager et entourage, devrait savoir évaluer les risques de faire ou de ne pas faire, en fonction de ses prérogatives, afin d’assumer les responsabilités de son choix conscient, à l’aune de ce dilemme. 

Alors, quand une telle problématique se pose, il semble bien que ce sera la recherche active, collective, et non standardisée de la meilleure solution possible qui permettra de décider de l’aide la mieux adaptée. Autrement dit, l’idée du médecin seul à décider semble précaire, si l’on parvient à entendre que partager des responsabilités humaines n’a rien d’un dévoiement de compétences techniques. 

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Deuxième exemple : les aidants des personnes atteintes de pathologies neurodégénératives ; de l’intérêt de les considérer comme bons juges du soutien à domicile de la personne malade. 

A part les symptômes et les déficits du malade, que connait-on véritablement, nous, accompagnants professionnels, de la personne ? Plus particulièrement, si arrive l’heure du choix qu’elle reste ou non à domicile, quels sont les critères de décision ? Sont-ce seulement ceux, observables, des symptômes du moment, ou également ceux chers à l’être, certes malade, mais qui a été, est et sera encore, par-delà cette décision qui lui échappe ? 

S’efforcer de savoir, puis garder en mémoire, qui a été la personne malade, c’est la reconnaitre et la faire demeurer humaine au-delà de la maladie. 

La mémoire ne concerne pas seulement le passé : elle détermine aussi notre perception du présent et façonne notre anticipation de l’avenir. Ainsi, qu’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, par exemple, ait perdu la mémoire, devrait-il signifier que, bien que perdue dans son passé, son présent et son futur, elle s’efface sous nos yeux d’accompagnants ? 

C’est là que les aidants sont de bons juges ! Mais on les oublie, eux aussi… Pourtant, qu’ils compensent la perte de mémoire de la personne malade en se souvenant pour elle s’avère être une démarche thérapeutique en soi ; car le trouble de la conscience d’un individu n’est souvent malheureusement que le seul argument donné pour ne pas le maintenir à domicile, ou bien choisir de l’envoyer vers un nouveau domicile institutionnel où l’on se persuade qu’il sera plus aisé de le soutenir. Mais pour combien de personnes cette croyance devient-elle un bienfait ? 

C’est précisément pour cela que les aidants sont à comprendre et à accompagner, eux aussi, au mieux. 

Ce point de vue doit questionner la société : comment trouvons-nous, tous ensembles, des solutions permettant de prendre en charge périodiquement des symptômes, et d’accompagner en permanence une personne malade et son entourage ? 

Oui, la mémoire des aidants, qui est souvent celle du conjoint, éclaire sur la personne malade. Conserver et transmettre le souvenir d’une histoire de vie permet aux accompagnants de comprendre qui a été, est et sera réellement cette personne malade, au-delà de la décision qui la concernera. Oui, préserver la dignité de la personne, c’est aussi veiller à préserver celle de ses aidants. Oui, nous sommes tous et toujours responsables… Alors, à nous du présent de faire ce travail de mémoire incongru, sur le présent et par anticipation, puisqu’en théorie, nous en sommes capables ; tant par altruisme pour les anciens et pour ceux qui nous suivront, que par égoïsme pour nous-mêmes, lorsqu’ arrivera pour d’autres l’heure du choix à faire pour nous. 

*** 

Troisième exemple : une aide à la toilette d’une personne réalisée par une dizaine d’intervenants différents constitue-t-il un cas de maltraitance ? 

La prévention du risque de maltraitance s’envisage à travers une organisation du travail adaptée : à la fois aux missions des professionnels et aux besoins des usagers. 

L’objectif d’un service à domicile est de mettre en place des prestations favorisant le respect de la personne, de son intimité et de ses besoins. Les personnes accompagnées doivent connaître en amont le fonctionnement du service, qui lui, a pour obligation, d’intervenir en appliquant les recommandations de bonnes pratiques professionnelles. En principe, donc, la demande d’intervention pour une aide à la toilette émane de la personne elle-même. Dès lors, une concertation entre le bénéficiaire et un responsable du service doit avoir lieu pour décider d’une organisation d’accompagnement, et ce, selon des règles claires et précises ! Au même titre que le reste, le nombre potentiel d’intervenants doit donc être évoqué, au regard des contraintes organisationnelles connues. De ce fait, le service se doit d’informer le bénéficiaire des mouvements de personnel… Voilà ce qui devrait être. 

L’accompagnement des publics âgés, dépendants et/ou porteurs de handicap(s), fragiles, vulnérables, a la particularité de devoir tenir compte de leurs capacités d'anticipation et d'adaptation diminuées. Ainsi, un événement qui semble mineur à l’individu lambda, peut perturber significativement le quotidien des personnes dont l'équilibre est précaire. Et la multiplication d’intervenants peut justement constituer une source majeure de contrariétés, un point de rupture des pilotis médico-sociaux mis en place pour soutenir la personne à domicile. 

Règlementations et bonnes pratiques professionnelles précisent, qu’avant tout, l’usager doit être informé de ses soins et des modalités selon lesquelles ils vont lui être prodigués, afin qu’il puisse adhérer ou non, à leur réalisation. 

Une fois le contrat établi, il existerait un paradoxe franc entre faire bénéficier à quelqu’un d’une aide à domicile, donc liée à un besoin objectif d’accompagnement personnalisé dans son milieu de vie, et dépersonnaliser l’action à réaliser, en ne l’envisageant que par l’alternative du « fait/non fait », en déconsidérant qui fait. 

A ce titre, l’obligation de bientraitance ne saurait s’effacer devant une « raison de service ». 

Mais la réalité fait que, parfois, la rotation des professionnels est inéluctable. Et l’humain, même en besoin, peut vraisemblablement entendre une telle organisation… Momentanément ! En effet, si la temporalité d’une rotation importante n’est pas déraisonnable, alors elle peut être acceptable par et pour l’humain. En revanche, faire de la rotation incessante des professionnels un fonctionnement institué, constituerait un risque pour le bénéficiaire ; un risque au moins aussi important qu’un arrêt du service, ne serait-ce qu’en termes de qualité de la prestation. 

Le choix entre le rien et l’inhumain ne devrait pas être difficile à faire, puisqu’il doit nécessairement exister quelque chose entre les deux. 

*** 

Quatrième exemple : de la connaissance et du respect d’une règle par des professionnels, puis de leur motivation à l’appliquer ou pas. 

Quelles conséquences y a-t-il pour les uns et les autres si ceux-ci prennent le risque de contourner une règle ? Voilà une formulation bien éloignée de la subtilité du questionnement éthique. Car, en cas de dilemme, le positionnement éthique ne consiste pas en la seule application d’une règle. Il doit naitre d’une démarche réflexive, complexe, certes prenant en compte la loi, mais pour aboutir à une proposition de solution la meilleure possible ; c’est-à-dire la plus juste, au regard des contingences du réel, c’est-à-dire du terrain. 

Au quotidien, les interactions humaines et professionnelles nous contraignent aux échanges, c’est un fait. Cependant, la question de la communication d’informations concernant une personne accompagnée entre professionnels doit-elle être banalisée ? En effet, la règle du consentement de la personne accompagnée, connue de tous, est-elle systématiquement respectée ? En outre, même après qu’elle a été loyalement informée des modalités selon lesquelles les informations la concernant circuleront, notons que la personne accompagnée a encore le droit de s’opposer à ce que ce soit le cas ! 

Alors, la bonne intention excuse-t-elle l’erreur, quand très souvent l’enfer est pavé de bonnes intentions ? Plus concrètement, nous nous sommes interrogés sur les raisons qui pouvaient pousser des professionnels à chercher des arguments pour contourner une règle de droit au prétexte de la facilité. Autrement dit : est-ce finalement « favoriser l’accompagnement » d’une personne que d’aller à l’encontre de ses droits et de nos devoirs professionnels, par banalisation ? 

Au regard des recommandations de bonnes pratiques professionnelles, notamment de celles relatives à la promotion de la bientraitance, et des nombreuses expériences rapportées par les membres du groupe tout au long des débats à ce sujet, nous rappelons, en premier lieu, que les réponses toutes faites et standardisées constituent des méthodes d’accompagnement a priori risquées pour les individus, ne serait-ce qu’en termes de gestion de listings plutôt que d’accompagnement de personnes. En effet, en tant que professionnels, ne faut-il pas savoir reconnaitre que tout n’est pas systématiquement simplifiable, tout en gardant en tête, individuellement et collectivement, que tout est pourtant possible ? En second lieu, toujours au regard des recommandations, nous soulignons que l’échange d’informations « de masse » (listings, dossiers médicaux, sociaux, d’autonomie…) réduit souvent l’individu à une pathologie, créant alors un risque de dépersonnalisation, de « dissolution » du malade et de son projet de vie dans de simples procédures. 

Nous ne nions pas que s’efforcer de communiquer les seules informations pertinentes selon des modalités claires va à l’encontre de la sorte d ’« hypercommunication déresponsabilisante » que semble réclamer notre époque. Pourtant, il faut bien s’y résoudre : accompagner des personnes et communiquer entre individus sont des exercices complexes. Ainsi, vouloir apporter coûte que coûte une réponse simple à une question qui se veut complexe par essence, comporte, de fait, le risque de commettre une erreur ; et là, au détriment des personnes accompagnées. Cela est éthiquement discutable ; puisque tenter d’établir un nouveau dogme, une alternative simple, en créant l’illusion de pouvoir s’exonérer du respect du droit, aussi laborieux soit il à appliquer, pour le bien supposé des personnes et de la communauté, est moralement déplacé. 

Nonobstant, nous n’oublions pas les qualifications techniques sérieuses, le dévouement des professionnels envers les personnes qu’ils accompagnent, ni leur volonté de bien faire lorsqu’ils se positionnent. Professionnels nous-mêmes, nous connaissons les contraintes liées au manque de temps sur le terrain. Nous avons conscience de l’importance de la recherche d’efficience dans notre société actuelle… Mais le sérieux doit-il s’effacer devant la rapidité et la facilité ? Consentir à une « mauvaise règle » ne revient-il pas, finalement, à empiéter sur le champ de liberté ? Celle de l’autre, certes, mais aussi de la nôtre, à terme, inévitablement. 

*** 
Cinquième Exemple: de l’adaptation de la société au vieillissement. 

L’année 2016 fût soit disant marquée par la promulgation de la loi d’adaptation de la société au vieillissement, dite « loi 3A » pour : « anticipation, adaptation et accompagnement ». Ce titre interpelle. En effet, pourquoi parait-il nécessaire de légiférer pour adapter la société au vieillissement, alors que cela devrait être absolument naturel ? Y a-t-il à ce point de carences, de dangers, d’urgences, en un mot, de « défis », autour du vieillissement désormais ?... Aurait-on manqué quelque chose ? Ferions-nous les choses si mal que cela pour nos anciens ?... 

Il est toujours temps de s’interroger, en particulier, sur le concret d’un lieu de vie, mais pas sans évincer la question de l’éthique à observer, ce positionnement abstrait mais tellement important, lorsqu’on appréhende le domicile. D’où l’utilité de la question d’une désormais prégnante et durable actualité : « quels lieux de vie pour bien vieillir ? ». 

Le vieillissement démographique en cours depuis un siècle est souvent présenté comme un défi global, à la fois économique, médical, familial, social et éthique. Mais fractionnons un instant cette globalité : le défi économique, c’est celui du financement des retraites, de l’emploi des séniors, du développement d’une « silver économie »… Le défi médical, c’est celui de la fin de vie, du juste soin, du consentement et du refus, des directives anticipées, de la personne de confiance… Le défi familial, c’est celui du rôle des proches-aidants, de la responsabilité filiale… Le défi social, c’est celui de la transition démographique, qui n’est pas exempte de tensions entre individus, entre générations… Une « guerre de générations » que les ainés gagneraient dans les urnes et les jeunes dans la rue… C’est l’apparition d’un nouveau « -isme » : cet « âgisme », qui empêche de reconnaître l’autre comme son égal, selon son âge ou son état… Et le défi éthique, c’est de s’adapter au mieux au bouleversement qui remet en cause certaines de nos valeurs, normes et déontologies professionnelles ; qui nécessite, au-delà de la loi, de discuter collectivement des grands principes qui orientent nos actions… 

Les valeurs se troublent autant que de nouveaux concepts voient le jour pour tenter de les rendre plus nettes. Mais « désinstitutionalisation » ou « empowerment », par exemple, ne doivent pas chasser nos valeurs existantes… Ces jeunes concepts devraient plutôt cohabiter avec la façon dont on accompagne déjà depuis longtemps les personnes vulnérables et de leurs aidants. 

Pour ne pas avoir le vertige au bord de tous ces défis, nous défendons l’idée que cette cohabitation est plausible si l’on se fait confiance.    

C’est d’abord le droit qui définit le domicile en tant que lieu de vie privé, et garantit à l’individu la possibilité d’être reconnu en tant que citoyen. Mais une personne malade, âgée ou handicapée, amenée à devoir partager tout ou partie de son lieu de vie, à devoir déplacer le curseur de sa pudeur et de son intimité, à travers le prisme de sa vulnérabilité, conserve-t-elle réellement son statut de citoyen à part entière tout au long de sa vie ? Car le symbole de l’âge ou du handicap, pesant, n’interfère-t-il pas souvent, à tort, avec le droit au respect de la liberté de la personne ? 

Selon nous, il n’est, en réalité, pas vraiment question d’architecture lorsqu’on évoque la question du domicile ou du lieu de vie. Il est surtout question de l’intérêt que l’on accorde à la dignité de la personne en tout lieu de vie, peu importe le caractère ponctuel ou permanent dudit lieu. Autrement dit, le domicile n’est pas que des murs et un toit, c’est aussi un symbole, primordial à considérer en tant que tel, afin de respecter au mieux la dignité de la personne. Nous entendons ainsi par domicile ou lieu de vie, tout lieu de résidence actuel dans lequel doit être respectée la dignité d’une personne, en termes de sécurité, d’intimité, de citoyenneté et de liberté, piliers inaliénables sur lesquels s’appuie la morale soignante, et la morale républicaine et démocratique, d’ailleurs. 

Notons que cette attention portée à la dignité et au respect du libre arbitre pour l’entrée en institution, par exemple, peut parfois être difficile à mettre en pratique par des professionnels ou des familles. Ainsi, selon une étude reprise par l’ANESM en 2011, 40% des personnes concernées ne participeraient pas au choix d’entrer en EHPAD… A ce sujet, la loi 3A renforce la procédure d’acceptation du contrat de séjour au moment de sa signature, ce qui doit permettre de mieux s’assurer du consentement de la personne accueillie, de sa connaissance et de sa compréhension de ses droits… Ces nouvelles dispositions doivent s’accompagner (ou préserver), dans les établissements et services médico-sociaux, de lieux de réflexion collégiale, pour résister à la tentation de se substituer à la personne… Puisqu’en effet, la loi dicte la règle sans d’emblée éveiller les consciences pour sa mise en œuvre. 

Le dogme, en termes de domicile, est un non-sens. Préférons-lui la liberté de la personne à le définir elle-même. 

*** 

Dernier exemple : d’un fait de prince, au XXIème siècle, en France, et conclusion

Dans leur pratique quotidienne, les professionnels qui composent le groupe de réflexion constatent que les problématiques et interrogations que reflètent cette sentence sont récurrentes… 

Le contexte social global de ces dernières années a été marqué par une forte augmentation du nombre de mesures de protection pour les personnes âgées ; probable signe d’un changement de forme de la solidarité familiale ou de voisinage. 

Nous constatons également qu’il est fréquent qu’un seul organisme (sup)porte exclusivement telle ou telle situation complexe, avant de faire appel, souvent tardivement, à un ou des autres dispositifs plus spécialisés en termes de coordination, notamment. 

Le manque de moyens humains induit moins de temps à consacrer à chaque personne à aider et, dès lors, ce sont moins les situations qui sont suivies que les urgences qui sont traitées. On ne tolère plus qu’il faille du temps à une personne vulnérable pour accepter l’aide qu’on lui propose, ou qu’une relation humaine qui n’a ni impact immédiat, ni visibilité exacerbée, soit pourtant fondamentale dans le prendre soin. La notion de danger est arbitrairement aléatoire. Au titre d’une norme quelconque, on annihile en un instant le travail de longue haleine de toute une équipe. La prévention est prônée sans qu’elle soit mise en œuvre. Alors que protéger une personne malgré elle a un acte subtil et délicat… 

Traiter une question éthique consiste souvent à élever une réflexion hors de nombreuses autres, puis de tenter d’y répondre avec mesure… C’est un incroyable défi. 

Nous avons souvent soulevé pléthore de questionnements empreints d’une certaine indignation : être très âgé est-il pathologique ? Existe-t-il une norme légale d’hygiène à domicile ? N’a-t-on pas la liberté de ne pas vouloir s’inscrire dans un parcours de soins ? Est-ce sans conséquence d’aliéner une cellule familiale ? Quel intérêt a le travail pluridisciplinaire si la décision d’un seul suffit à solder une situation de vie ?... 

A travers ces questions, nous avons déduit qu’une personne accompagnée lambda, dans le sens où aucun élément de péril ne semble exister pour elle ou son entourage, et dans la mesure supplémentaire où elle n’est pas reconnue légalement comme incapable de prendre des décisions pour elle-même, ne doit pas faire l’objet d’un fait de prince, quel qu’il soit, qui déciderait pour elle de ce que doit être son domicile : en clair, qu’elle serait mieux en EHPAD plutôt que dans sa maison sale, par exemple. 

Notre groupe de réflexion n’a eu ni vocation, ni n’avait compétence à se prononcer sur la finalité des situations. En revanche, il s’est autorisé, comme tout un chacun en a la liberté, à discuter les méthodes employées sur le terrain. Terminons donc avec une question précise : l’éthique d’un tiers non médecin et non impliqué dans un travail de suivi et d’acceptation de soins doit-elle prévaloir sur l’éthique collégiale d’une équipe pluridisciplinaire accompagnant une personne ? 

Selon les valeurs qui, selon nous, doivent animer le prendre soin, travailler en équipe pluridisciplinaire comporte une complexité intrinsèque. Celle-ci ne saurait être balayée par un jacobinisme contradictoire avec le droit actuel des personnes, même vulnérables, à décider pour elles-mêmes, selon l’éclairage des professionnels qui l’entourent depuis un certain temps. 

N’est-ce pas, a contrario d’une pensée unique, motivée par des principes de précaution, que la bientraitance devrait s’incarner ? S’incarner dans des convictions croisées, de la communication entre tous les acteurs, y compris, nous n’avons cessé de le rappeler, avec la personne accompagnée elle-même ! Pour des décisions et des actions mesurées, qui doivent conduire à une satisfaction relative de chacun. 

Etre capable de mettre en œuvre ces idées, c’est être capable de passer de l’émotion à l’intellectualisation, afin que chacun se centre sur son rôle et ses limites, et que tous trouvent une place et respecte celle d’autrui. C’est un travail long et difficile, qui va à l’encontre de l’idée selon laquelle la dignité de l’un d’entre nous pourrait être normée par l’idée d’un seul autre. 

En France, il a été convenu que le Contrat Social s’exercerait au détriment de méthodes princières. A cette lumière, chacun doit se positionner en conscience, puis assumer la portée de ses actions et la forme de « traitance » qui en résulte.

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